Notre histoire
Thierry Vildary est journaliste d'investigation au service des sports de France Télévision, que Jean-François Laville a piloté pendant quinze ans. Sébastien Chesbeuf était un des responsables du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 avant d'être licencié. Il a fait condamner le Comité d'organisation aux Prud'hommes pour licenciement abusif et demande le statut de lanceur d'alerte devant la Cour d'appel de Paris.
Avant-propos
C’est l’histoire d’un roman national fantasmé. Une comédie hypocrite, riche en mises en « Seine ». Avec pour leitmotiv, « Aucune inquiétude, tout est sous contrôle ». Pourtant, la promesse était belle, la symbolique forte : la France ramène les Jeux Olympiques et Paralympiques sur la terre du Baron Pierre de Coubertin, père de l’olympisme moderne.
Nos témoignages ne sont pas ceux de « grincheux » décriés en 2017 par le Président Macron lorsqu’il fustigeait les « anti-JO », « ceux qui n’y croyaient pas ou n’en voulaient pas ». Nous ne souhaitons pas que les Jeux soient un échec. Nous espérons qu’ils se déroulent dans les meilleures conditions et riment avec succès. Certaines épreuves habillées d’un patrimoine unique, au pied de la Tour Eiffel ou à Versailles, marqueront l’Histoire olympique. Mais à quel prix ?
Au motif que les Jeux Olympiques et Paralympiques seraient un projet d’intérêt supérieur de la Nation, doit-on taire la vérité ? Passer sous silence les dysfonctionnements du comité d’organisation lourds de conséquences, les dérives budgétaires, l’irresponsabilité des pouvoirs publics, la déliquescence du mouvement sportif français au moment même où il devrait être à son apogée ?
Nous ne le pensons pas. Sébastien Chesbeuf, un des membres de notre trio, a refusé d’être complice. Il en a payé le prix. Effaré par la gestion erratique, à tous les niveaux, de l’organisation des Jeux, il a été licencié du COJOP (Comité d’Organisation des Jeux Olympiques de Paris) pour avoir, en interne et à plusieurs reprises, tiré la sonnette d’alarme. Il a gagné aux prudhommes. Le combat judiciaire n’est pas terminé.
Durant ces derniers mois, l’État français, dans un réveil tardif et devant l’ampleur de la tâche, a engagé une somme considérable de moyens et d’énergie pour la réussite du plus grand événement sportif mondial. Dans l’urgence, il tente de palier les risques importants qui pèsent sur la sécurité ; à grand renfort de coûts additionnels faramineux, il essaye de compenser l’impréparation, parfois l’amateurisme de l’organisation. Mais, par son silence, il tente de couvrir l’opacité qui règne au sommet du COJOP et qui a conduit le Parquet National Financier à perquisitionner le comité d’organisation avant les Jeux, une première dans l’Histoire.
Si l’on devait résumer, ce roman national repose sur trois faux espoirs.
D’abord, les jeux devaient s’autofinancer. « Les jeux financent les jeux » : la formule est à déguster sur la page de présentation du site internet de Paris 2024. Malgré ce mantra, l’État, donc le contribuable, paiera. Les Jeux promis en 2017 devaient coûter 6,6 milliards d’euros, ils en coûteront plus de 12, près du double donc, selon nos estimations. Sans compter les dizaines de milliers de forces de l’ordre et militaires mobilisés spécialement pour les cérémonies et l’engagement financier considérable des collectivités locales voulant participer à la fête. Sans l’argent du citoyen, pas de Jeux.
Ensuite, ces jeux devaient être populaires, écologiques et décarbonés. Écologiques, les aller-retours en avion et en bus pour transporter les délégations, vers Tahiti ou Lille ? Populaire, le prix des billets pour assister aux épreuves en famille ? Ou le doublement du prix des tickets de métro alors que la gratuité avait été promise au moment de la candidature ? Décarbonée, la Master climatisation construite à l’occasion du tournoi olympique de basket à Lille ?
Enfin, ces jeux devaient se montrer exemplaires, dignes d’une éthique irréprochable. Résultat : policiers et magistrats enquêtent depuis 2017 et 2022 sur les principaux dirigeants et sociétés supposées « amies » pour favoritisme, prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics. Même la rémunération du Président des Jeux fait l’objet d’une enquête…
Cerise sur les anneaux, la cérémonie d’ouverture sur la Seine, qui va être vue par un quart de l’humanité, provoque depuis le début, et chaque jour un peu plus, des sueurs froides aux les plus hauts responsables et experts en sécurité. Leurs alertes non plus n’ont pas été entendues. Le devoir de réserve leur impose la discrétion. Lassés, ils s’expriment dans ce livre.
Nous avons donc décidé d’écrire sur les zones d’ombre des JO. Nous avons surtout pensé au contribuable qui regardera les jeux devant son écran, au fan qui a acheté son billet, aux bénévoles qui sacrifient leurs congés et leur argent à l’esprit olympique, enfin, bien sûr, aux athlètes qui consacrent leur vie au « rêve olympique ». Ils ont le droit de savoir.